SOCIAL
Publié le 17 juillet 2024
Prétendre que les patrons sont des créateurs d'emplois : une idée reçue ?
TRIBUNE
Les patrons sont-ils vraiment les créateurs d'emploi ? Une analyse de Bernard Friot
Depuis des années, le sociologue et économiste Bernard Friot s'intéresse à une question cruciale : les patrons sont-ils vraiment les créateurs d'emploi ? Cette idée, souvent répétée sur les plateaux de télévision, attribue aux patrons le "génie" et le "courage" d'avoir pris des risques pour entreprendre, permettant ainsi à des milliers d'individus de travailler. Cette notion est profondément ancrée dans les consciences collectives. Mais est-elle vraiment fondée ?
Pour Bernard Friot, ainsi que pour de nombreux autres économistes tels que Frédéric Lordon, il s'agit d'un sophisme. Croire que l'emploi est le fait des patrons est, selon eux, une erreur. Friot affirme que c'est le besoin qui crée l'emploi. Le patron, quant à lui, s'accapare de ce besoin mais doit néanmoins faire appel à des travailleurs pour y répondre. En échange d'un salaire, il exploite ces travailleurs. Selon Friot, l'idée que le salaire soit lié à l'emploi permet simplement aux acteurs qui possèdent les moyens de production, c'est-à-dire les patrons, d'exercer un chantage à l'emploi.
Le chantage à l'emploi et l'inversion de la logique
Pour Bernard Friot, il y a une inversion de la logique. Ce ne sont pas les patrons qui font vivre les travailleurs, mais les travailleurs qui font vivre les patrons. Le fait que le salaire (le moyen de subsistance des travailleurs) soit lié à l'emploi donne tout le pouvoir aux patrons, qui peuvent ainsi exercer un chantage. Selon Friot, chacun devrait être payé en fonction de ses qualifications, de son statut, et de sa valeur ajoutée au fonctionnement de la société, et non pour répondre aux besoins spécifiquement destinés à enrichir un patron.
L'emploi, d'après Friot, doit servir uniquement à répondre aux besoins de la société et non aux attentes lucratives de quelques individus. Il propose une véritable rupture avec la logique capitaliste actuelle, sans pour autant prôner un modèle communiste où l'État posséderait et gérerait les moyens de production. La vision de Friot repose sur une transformation radicale de la structure de propriété des entreprises.
La co-propriété des entreprises comme alternative
Bernard Friot propose que chaque acteur d'une entreprise soit copropriétaire de celle-ci afin de maîtriser l'investissement et de mettre fin à la propriété lucrative des entreprises. Cette proposition vise à rééquilibrer le pouvoir en entreprise et à assurer que les décisions économiques soient prises dans l'intérêt de la collectivité plutôt que pour maximiser les profits individuels des propriétaires.
La co-propriété des entreprises permettrait aux travailleurs de participer activement à la gestion de leur entreprise et de bénéficier directement des fruits de leur travail. Friot soutient que cette approche non seulement démocratise l'économie, mais renforce également la solidarité et la cohésion sociale en donnant à chacun une part égale dans le succès de l'entreprise.
Vers une nouvelle organisation du travail
La proposition de Bernard Friot implique une redéfinition complète des relations de travail et de la notion de propriété dans le système économique. Elle vise à instaurer une société où le travail n'est plus subordonné au capital, mais où chaque individu a la possibilité de contribuer selon ses capacités et de recevoir en fonction de ses besoins. Ce modèle nécessite une transition vers une économie où la coopération remplace la compétition, et où la valeur ajoutée par chacun est reconnue et récompensée.
Friot souligne également l'importance de la déconnexion entre le salaire et l'emploi. Il propose un système où les salaires seraient garantis indépendamment de l'emploi, permettant ainsi aux individus de se consacrer à des activités socialement utiles sans la pression constante de la rentabilité immédiate. Ce système pourrait être financé par une cotisation économique, un mécanisme de redistribution des richesses produit par la société dans son ensemble.
Par Tony Houdeville