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Salaire à vie : Et si on était payé, mais pas pour travailler ?


ÉCONOMIE | Publié le 18 septembre 2024


OPINION

Le salaire à vie : une révolution économique selon Bernard Friot

L’économiste et sociologue Bernard Friot propose une idée radicale pour transformer notre société : le salaire à vie. Ce revenu, versé à chaque individu dès l’âge de 18 ans, serait permanent, inaliénable, et susceptible d’augmenter tout au long de la vie. La grande innovation réside dans le fait que ce salaire ne serait pas lié à un emploi, mais à la qualification personnelle de l’individu. Le concept vise à résoudre deux des plus grands défis économiques et sociaux de notre époque : la pauvreté et le chômage. Par cette approche, Friot espère révolutionner l'organisation sociale et économique de manière durable.

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Un nouveau paradigme économique

Imaginez un monde où chaque personne, qu’elle soit employée ou non, recevrait un revenu stable et permanent, sans crainte de le perdre. C'est la vision que propose Bernard Friot à travers le salaire à vie. Ce système permettrait non seulement de garantir une sécurité financière à chacun, mais aussi de supprimer la concentration excessive des richesses. En effet, dans ce modèle, la rémunération serait équitable et basée sur les compétences individuelles, et non sur le capital ou la possession des moyens de production.

En adoptant le salaire à vie, la société pourrait dire adieu à la pauvreté et au chômage. Chaque individu serait reconnu pour sa valeur intrinsèque et ses qualifications. L’idée est de permettre à tous d’accéder à un niveau de vie décent sans être pris au piège du marché du travail ou des aléas économiques.

L'inefficacité de la lutte contre le chômage

Le concept de salaire à vie repose sur une critique sévère des méthodes traditionnelles de lutte contre le chômage. En effet, malgré des décennies de politiques publiques visant à le réduire, le chômage reste un problème structurel dans de nombreuses économies, et les solutions apportées se révèlent souvent inefficaces. Pire encore, ces solutions se font souvent au détriment des travailleurs eux-mêmes, en rognant sur leurs droits et en manipulant les statistiques.

Friot souligne également que des gouvernements, tels que celui d’Emmanuel Macron, manipulent les chiffres du chômage pour donner l’illusion d’une amélioration. En réalité, de nombreux chômeurs sont exclus des statistiques officielles, et les emplois précaires augmentent, notamment à travers le recours à des contrats à temps partiel ou à durée déterminée. Cette politique produit un effet de façade, dissimulant la précarisation croissante des travailleurs, un phénomène également observé aux États-Unis et en Allemagne.

Vers un futur précaire

Autre constat préoccupant : la réduction historique du temps de travail, qui avait progressé depuis l’après-guerre, est aujourd’hui en stagnation. Au lieu de diminuer le temps de travail, de plus en plus de voix s'élèvent pour affirmer que nous ne travaillons pas assez, et que les citoyens devraient allonger leur durée d’activité professionnelle. Le report de l’âge de la retraite, en France comme ailleurs, en est un exemple flagrant.

Pourtant, cet accroissement du temps de travail ne fait qu’aggraver la situation. Plus il y a de personnes en compétition sur le marché de l'emploi, plus le chômage augmente, car l’offre de travail dépasse la demande. Les entreprises, elles, en profitent pour imposer des conditions de travail de plus en plus déplorables, tout en continuant à accumuler des profits massifs.

Le revenu universel : une solution insuffisante

Face à cette précarisation croissante, le revenu universel est souvent présenté comme une solution possible. Cette idée propose de verser un revenu minimal à chaque citoyen, sans contrepartie. Si cette proposition peut sembler séduisante à première vue, Bernard Friot en dénonce les limites.

Il craint en effet que le revenu universel, tel qu'il est envisagé par certains acteurs politiques, notamment de droite, ne soit qu’un leurre. Les montants proposés sont souvent dérisoires, bien en dessous du seuil de pauvreté, et certains politiciens suggèrent de l'utiliser pour remplacer d’autres aides sociales. Cela pourrait affaiblir encore davantage les systèmes de protection sociale, comme les assurances maladie et retraite.

Friot met également en garde contre un effet pervers : si l’État verse un revenu de base à chacun, les employeurs pourraient en profiter pour réduire les salaires, sachant qu'une partie des besoins des travailleurs serait déjà couverte par cette allocation.

La révolution salariale proposée par Bernard Friot

La différence fondamentale entre le revenu universel et le salaire à vie réside dans l’ambition de ce dernier de transformer l’économie en profondeur. Contrairement au revenu universel, le salaire à vie ne se contente pas d’ajouter une allocation supplémentaire au système actuel. Il remet en question le fonctionnement même de notre économie.

Avec le salaire à vie, chaque citoyen, dès l’âge de 18 ans, verrait son revenu déterminé par sa qualification, acquise par concours. Ce salaire serait garanti à vie, et pourrait augmenter au fil du temps en fonction des qualifications supplémentaires acquises. Les bénéfices des entreprises ne seraient plus accaparés par une poignée d’actionnaires, mais redistribués dans une caisse commune gérée par les travailleurs eux-mêmes.

Dissocier travail et emploi

Un autre aspect clé du salaire à vie est qu’il dissocie le travail de l'emploi. Aujourd’hui, nous avons tendance à ne considérer que l’emploi rémunéré comme du travail, oubliant toutes les autres formes de contributions à la société, comme le bénévolat, les soins apportés aux enfants ou l’engagement dans des associations. Le salaire à vie reconnaîtrait et valoriserait également ces formes de travail non rémunérées.

Ce système permettrait ainsi de donner un nouveau sens au travail, en libérant les individus de la nécessité de trouver un emploi pour survivre. Cela offrirait également une plus grande liberté de choix aux individus, qui pourraient se consacrer à des activités réellement utiles et épanouissantes, plutôt que de subir des emplois précaires et sans avenir.

Une réponse à l'urgence écologique et sociale

Enfin, le salaire à vie représente une réponse possible à l'urgence écologique. En effet, le modèle actuel, basé sur la production et la consommation de masse, n’est plus viable face aux enjeux climatiques. Le salaire à vie permettrait de réduire considérablement la production inutile, en encourageant des activités socialement utiles et respectueuses de l'environnement.

En supprimant les emplois « inutiles » et en offrant à chacun la possibilité de se consacrer à des occupations plus durables et significatives, le salaire à vie pourrait jouer un rôle clé dans la transition écologique. De plus, la réduction des inégalités qu’il propose est également un impératif pour construire une société plus juste et durable.

Ainsi, la proposition de Bernard Friot va bien au-delà d'une simple réforme économique. Elle engage une véritable réflexion sur la manière dont nous organisons notre société, en repensant notre rapport au travail, aux richesses, et à l’environnement.

Par Tony Houdeville