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Grandes fortunes : 160 milliards d’euros de manque à gagner pour l'État ? Oxfam tire la sonnette d'alarme


ÉCONOMIE | Publié le 17 septembre 2024


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La transmission des grandes fortunes françaises : un enjeu fiscal colossal

Dans les trente prochaines années, un événement économique majeur se prépare en France : la transmission de plus de 460 milliards d’euros de patrimoine, hérités par les descendants de 25 des milliardaires les plus fortunés du pays, aujourd’hui âgés de plus de 70 ans. Ce transfert massif de richesses, révélé dans un rapport d’Oxfam France le mardi 17 septembre, met en lumière un problème majeur : si aucune réforme n’est adoptée, l’État pourrait perdre 160 milliards d’euros en raison des multiples niches fiscales dont bénéficient ces super-héritiers. Un manque à gagner qui soulève de vives critiques de la part de l’organisation, qui pointe du doigt un système fiscal jugé défaillant et injuste.

D’après Oxfam, ces 160 milliards d’euros perdus pour les caisses de l’État pourraient être réinvestis ailleurs, et notamment sous forme d’aides directes pour la population. Pour donner une idée plus concrète de ce montant, l’ONG estime qu'il représenterait une somme de 7 000 euros pour chaque jeune Français atteignant l’âge adulte au cours des 30 prochaines années. Cette somme pourrait permettre à ces jeunes de financer l’équivalent d’une année d’études supérieures, souligne le rapport, mettant ainsi en lumière l’ampleur du manque à gagner pour l’État et ses citoyens.

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Des super-héritiers faiblement imposés : un système fiscal défaillant

Le rapport d’Oxfam France va plus loin en dénonçant un système fiscal qui semble largement favoriser les familles les plus riches du pays. Selon les règles en vigueur, un super-héritage de 13 millions d’euros est censé être imposé à hauteur de 45 % au titre des droits de succession. Cependant, Oxfam révèle que, dans la pratique, la très petite minorité d’héritiers touchant ces montants bénéficie d’un taux d’imposition effectif de seulement 10 %. Une disparité que l’organisation explique par l’usage intensif de niches fiscales, qui permettent de contourner une grande partie de l’imposition attendue.

Ces dispositifs fiscaux, conçus initialement pour alléger les charges des héritiers, ont des effets considérables sur les recettes fiscales de l’État. Selon Oxfam, ils profitent en réalité à une poignée de familles, qui parviennent à minimiser leurs contributions au fisc, laissant le reste de la population supporter le poids des impôts. Ce constat soulève une question de justice fiscale, essentielle dans un contexte de creusement des inégalités en France.

Des écarts fiscaux selon les degrés de parenté

Le système d’imposition des successions révèle également de profondes inégalités selon la proximité du lien familial entre le donateur et le bénéficiaire. Pour les héritiers en ligne directe, c’est-à-dire les enfants ou petits-enfants, l’imposition moyenne ne s’élève qu’à 5 %, et ce, après un abattement de 100 000 euros. À l’inverse, pour les successions plus éloignées, telles que celles provenant d’une tante ou d’un oncle, l’abattement chute drastiquement à 7 967 euros, et le taux de taxation grimpe à 55 %. Ce fossé dans les taux d’imposition crée de profondes inégalités entre les différentes catégories d’héritiers, accentuant encore davantage les avantages pour les familles les plus riches.

Oxfam s’insurge contre ce qu’elle qualifie de favoritisme fiscal pour les familles fortunées, qui ont les moyens de transmettre leur patrimoine sans quasiment payer d’impôts. En effet, le système actuel permet aux parents de faire des donations importantes, à hauteur de plus de 500 000 euros tous les 15 ans, sans être soumis à une imposition significative. Une situation qui, selon l’ONG, ne profite qu’à une minorité privilégiée de la population. En 2018, plus de 80 % des foyers français n’avaient jamais bénéficié d’une donation, souligne le rapport, ce qui montre à quel point ce type de dispositif concerne une fraction infime des citoyens.

Une injustice fiscale dénoncée par Oxfam France

Face à ces constats, Oxfam France n’hésite pas à qualifier le statu quo fiscal de "scandale et choix politique inacceptable". L’ONG insiste sur l’injustice profonde du système de taxation des héritages, qu’elle décrit comme "opaque et profondément inéquitable". Cette critique intervient dans un contexte particulièrement sensible : la France est le pays de l’Union européenne qui a connu la plus forte augmentation du taux de personnes menacées de pauvreté au cours des dernières années. Alors que les inégalités économiques se creusent, le manque à gagner pour l’État dû aux niches fiscales sur les super-héritages devient de plus en plus difficile à justifier.

Pour Oxfam, la réforme de ce système fiscal est non seulement nécessaire, mais urgente. L’organisation appelle à une refonte totale du régime d’imposition des successions, afin de le rendre plus juste et transparent. L’ONG propose de supprimer les niches fiscales et exonérations jugées "inutiles" et "injustifiables". Elle préconise également la mise en place d’un barème progressif visant spécifiquement les super-héritages, afin de garantir que ces immenses fortunes contribuent plus équitablement aux finances publiques.

Une réforme indispensable pour financer l'avenir

Selon Oxfam France, cette réforme du système de taxation des super-héritages pourrait générer des ressources nouvelles pour l’État, des ressources qui seraient indispensables pour financer les services publics, mais aussi pour accompagner la transition écologique. En réclamant un changement radical du régime fiscal, l’ONG espère que ces nouvelles recettes permettraient de mieux répartir les richesses et de lutter contre les inégalités sociales, tout en soutenant des investissements dans des secteurs clés pour l’avenir de la France.

Oxfam France met en lumière un problème fiscal majeur qui, s’il n’est pas résolu, risque de perpétuer les inégalités en France et de priver l’État de ressources précieuses. La transmission des super-héritages, facilitée par les multiples niches fiscales, représente un défi de taille pour l’équité fiscale et la justice sociale. Réformer ce système est donc, selon l’ONG, une priorité pour construire une société plus juste et solidaire, où chacun contribue de manière équitable aux efforts collectifs.

Par Tony Houdeville